Entretien avec Bud Parr de The New Dynamic
Bud Parr est impliqué dans la communauté qui gravite autour des générateurs de site statique depuis plusieurs années. Il possède sa propre agence et agrège sa curation autour de l’écosystème de la Jamstack sur thenewdynamic.org. Bud organise également des meetups à New-York et il est également à l’origine du récent redesign du site d’Hugo. Il a gentiment accepté de répondre à nos questions.
Bonjour Bud, tu es un observateur et un défenseur de ce que beaucoup désignent encore comme de simples sites statiques. Comment les choses ont-elles évolué depuis quelques années ?
Pour être tout à fait honnête, cela m’a causé pas mal d’insomnies au début. Ce paradigme faisait totalement sens pour moi, mais il y avait peu de personnes impliquées ou qui avaient conscience de tout cela. J’étais vraiment inquiet que s’il m’arrivait quelque chose, mes clients éprouveraient des difficultés à trouver des développeurs pour prendre la suite de leur projet. Et puis, il n’y avait pas énormément de choix dans l’écosytème. Le manque d’un bon éditeur pour les profils non-techniques était un vrai problème. J’ai même dû apprendre à quelques clients comment utiliser Markdown et GitHub, mais ce n’est clairement pas l’idéal. Nous voyons que les choses ont bien évolué depuis, certains des éditeurs actuels sont aussi bons si ce n’est meilleurs que ceux que l’on trouve dans les CMS traditionnels. Cette année, nous avons assisté à l’écclosion de CMS headless propriétaires, à vous de voir si vous préférez privilégier une approche basée sur Git ou sur l’utilisation d’une API.
Nous avons aussi assisté à l’émergence du Serverless d’Amazon ou des “Cloud functions” de Google et de services bâtis autour du concept de microservices. Ces services facilitent l’accès à des fonctions qui auraient nécessité la gestion d’un serveur auparavant : la gestion de formulaires, l’authentification, les bases de données en temps réel et bien plus.
En 2015 Tom Preston-Werner disait lors de la JekyllConf que 80% du Web pourrait être statique, est-ce le cas aujourd’hui ?
Peter Levine, un des associés d’Andreessen Horowitz, fait également ce constat
lorsqu’il écrit :
Il y a plus de 300 millions de sites Web déployés chaque année, la plupart de ces sites et applications Web pourraient être hébergées chez Netlify
.
Par Netlify, il sous-entend déployé en statique ou basé sur la
Jamstack. Il me semble que nous sommes encore loin du
compte.
Divisons le Web en trois grandes catégories : le Web développé par des ingénieurs, le Web manipulé par des utilisateurs (de thèmes WordPress par exemple) et le Web complétement abstrait (avec Squarespace par exemple). Je suis loin d’être persuadé que les deux derniers groupes s’intéressent à l’adoption de ces technologies, pourtant cela représente une part importante du Web. Le premier groupe lui sera largement composé d’applications Web et de sites statiques. On devrait assister à un rapprochement de ces deux mondes, et les outils que nous utilisons pour développer ces types de sites vont continuer d’évoluer dans les années à venir.
Les administrations publiques aux États-Unis (avec 18F), au Royaume-Uni (avec Alphagov) ou en France (avec Etalab) semblent privilégier ce type de workflow. Pourquoi à ton avis est-ce si intéressant pour les administrations publiques et les organismes ouverts ?
Ce sont des organismes qui ont un large public et une forte exigence de qualité de service : performance, stabilité et sécurité. Il est donc naturel qu’ils veuillent bénéficier des avantages du statique. De plus, ces organismes sont en général composés d’équipes distribuées, qui peuvent être réparties dans différents services, la collaboration permise par un processus de travail basé sur Git — donc sur de la gestion de version — fait totalement sens. Tout le monde est gagnant et cela facilite l’adoption de cette technologie, puisqu’elle est utilisée par des acteurs majeurs et donc crédibles.
Nous voyons aussi de plus en plus d’agences, de start-ups adopter cette manière de travailler par défaut quand il s’agit de publier des contenus. Quels sont selon toi les projets les plus susceptibles de faire réfléchir à deux fois avant de dégaîner son bon vieux CMS ?
L’équipe qui s’était occupée de la dernière campagne de Barack Obama — site propulsé par Jekyll — s’est également occupée du site de campagne d’Hillary Clinton — site généré avec Assemble en NodeJS. C’étaient des sites relativement importants et relativement sophistiqués. Nous avons une galerie sur The New Dyanmic qui a pour but de mettre en avant des projets bien conçus. L’idée c’est de montrer que ce n’est pas uniquement fait pour bloguer comme un hacker, on peut utiliser ces outils pour maintenir de la documentation, présenter des services et des produits et faire des choses plus sophistiquées. Smashing Magazine est un des parfaits derniers exemples en date. C’est un site complet avec beaucoup de contenus, de la vente en ligne, un espace membre, etc. C’est vraiment une chouette vitrine pour la Jamstack.
Mais alors pourquoi les agences n’adoptent-elles pas ce processus de travail ?
C’est difficile à dire pour moi, vu que j’ai choisi de travailler uniquement de cette façon. J’imagine que tout le monde n’a pas encore conscience des possibilités offertes. Je lis encore souvent que la Jamstack, c’est juste bon pour les sites vitrines et les blogs, cette idée reçue est encore tenace. Partir sur les CMS les plus utilisés c’est la sécurité, même si ce n’est pas forcément la bonne solution. Quand un client me dit “Je veux un site WordPress”, ce que je comprends c’est qu’il veut “un éditeur Web riche que je pourrais utiliser sans l’aide d’un profil technique”. Je crois que malheureusement beaucoup de gens prennent encore ce genre de demande au pied de la lettre.
Si ce workflow est naturel pour les développeurs Web, les utilisateurs finaux préfèrent utiliser une interface graphique complète. Ces deux manières de travailler sont-elles compatibles ?
Tout à fait. On a le choix entre deux approches : une basée sur Git, où tout votre contenu est stocké dans un dépôt Git, et une autre basée sur une API, où vous générez vos contenus qui sont ensuite mis à disposition via une API, pour que vous puissiez les récupérer et les afficher dans votre application ou votre site. Il existe de bons éditeurs Web pour les sites dont le contenu est stocké dans un dépôt Git : Forestry.io, Siteleaf, Cloudcannon et Netlify CMS par exemple. Jusqu’à encore récemment il n’y avait que quelques acteurs majeurs du côté des APIs de contenu (comme Contentful ou Prismic), maintenant il existe des dizaines de CMS headless sans base de données. Il y a donc le choix entre différentes approches et de plus en plus de compétition sur ce plan. C’est une très bonne nouvelle !
Quel est ton workflow actuel ? Qu’est-ce qui te plaît tant dedans ?
En ce moment j’utilise des services et des outils qui me permettent de répondre à des projets variés : Hugo pour la génération de site, la bibliothèque CSS Tachyons pour construire des interfaces, Webpack pour la gestion des assets, Netlify pour le déploiemet et l’hébergement, Forestry pour que mes clients puissent rédiger leurs contenus.
Je trouve ce workflow particulièrement efficace. Hugo peut gérer n’importe quel type de site, quelle que soit sa taille. Netlify me permet de déployer des mises à jour en quelques secondes et Forestry permet à mes clients d’être autonomes pendant la phase d’édition. En gros, cet ensemble d’outils me permet d’être plus efficace dans mon travail et de me concentrer en priorité sur les besoins de mes clients.
Cela dit, je continue de tester les nouveaux outils qui sortent, un des avantages d’avoir sa propre agence de développement et de design Web est que je peux faire évoluer ma façon de travailler en adoptant les outils les mieux adaptés.
Par exemple, pour le projet www.retroreport.org que j’ai réalisé avec Hugo, je me suis reposé sur les formats d’export personnalisés d’Hugo pour générer des versions alternatives du contenu dans des fichiers JSON pour le lecteur vidéo. La Jamstack est parfaitement indiquée pour ce projet, car le site subit de forts pics de charge quand une des vidéos devient virale sur le Web et il est rassurant de savoir que nous n’aurons pas à nous soucier de la latence lorsque ces pics de charge aléatoires se produisent.
Comment vends-tu cette manière de travailler à tes clients ?
Je n’ai pas à le faire. Mes clients m’engagent pour que je prenne ce genre de décision à leur place. Si je dois aborder le sujet, je vais insister sur les gains de performance, cet argument à lui seul suffit à les convaincre, et les sites statiques permettent une continuité de service proche de 100% tout en réduisant fortement la probabilité de se faire hacker. Ce que je ne mentionne pas trop, mais dont ils bénéficient aussi, c’est la facilité avec laquelle on peut publier les changements suite à leurs retours.
Que souhaites-tu pour cette stack Web moderne à court terme ?
Je pense que le découplage qu’induit naturellement la Jamstack peut perturber ceux qui ne sont pas encore familiers avec le concept. Et il n’y a pas vraiment d’acteur dominant qui impose une “manière standard de faire”, comme le font React ou Angular dans le domaine du développement de Single Page Applications. Je trouve que Netlify a fait un super boulot de vulgarisation, en nommant le concept et en faisant la promotion de la Jamstack, mais de ce que je peux observer, les gens sont encore assez désorientés, ils ne savent pas trop par où commencer ni quel serait le meilleur outil à utiliser dans leur cas de figure. J’aimerais donc que les gens puissent se familiariser davantage avec cet écosystème, je ne sais pas très bien comment. La mission de The New Dynamic est de contribuer à cela, et il y a encore beaucoup de travail à faire.